L'affaire de Montigny, incroyable gâchis causé par "la religion des aveux"
Les aveux sont considérés par beaucoup comme la "reine des preuves". Plusieurs affaires, décrites notamment par l'avocat Dominique Inchauspé dans "L'erreur judiciaire" (aux Presses universitaires de France) montrent que cette confiance excessive mène à des erreurs. La plus exemplaire, par l'accumulation d'aveux (de trois personnes différentes), par les nombreuses incohérences du dossier d'accusation et par l'ampleur de ses suites catastrophiques, est celle commise par la justice dans "L'affaire de Montigny" dite "Dils-Heaulme".

28 septembre 1986, à Montigny-lès-Metz (département de la Moselle, Est de la France), en début de soirée, deux enfants sont découverts le crâne fracassé.
L'équipe de l'inspecteur divisionnaire Varlet, directeur de l'enquête, obtiendra dans les mois qui suivent les aveux de deux personnes. Mais il dut chaque fois reconnaître peu après que les récits des meurtres obtenus de ces deux suspects étaient trop invraisemblables.

  





  Cliquez sur l'image pour entendre comment H. Leclaire,
  premier homme à avouer les meurtres,
  explique sa "confession".











Une troisième personne, premier suspect aux yeux de l'enquêteur, était innocenté par un alibi bien établi. Bousculant toute logique, Bernard Varlet et ses adjoints bâtiront sa "culpabilité" en obtenant des aveux circonstanciés, qui convaincront deux jurys d'assises de condamner ce malheureux Patrick Dils.
Nous allons voir comment les policiers et le juge d'instruction ont construit un dossier autour d'aveux extorqués sans violence, et négligé de nombreuses incohérences, tant la foi en cette "reine des preuves" était puissante.

Une suspicion rocambolesque et des témoignages isolés comme seules armes policières

L'inspecteur divisionnaire Varlet disposa rapidement des éléments suivants :

Une première suspicion au bien étrange motif
L'inspecteur Varlet reçut dans les premiers jours de son enquête un appel téléphonique anonyme l'invitant à un rendez-vous pour recevoir des révélations. Celles-ci n'étaient qu'un conseil : s'intéresser à Dils, sans préciser le prénom. La famille Dils habitait dans la rue en bas du talus de chemin de fer. Mais voilà, de nombreux témoignages garantissaient qu'elle n'était revenue ce dimanche qu'à 18 h 45 à Montigny, donc après l'heure du crime. Patrick, 16 ans, s'était bien absenté quelques instants, mais moins de cinq minutes selon sa mère, son jeune frère et lui-même. Emmené deux fois à la police, l'adolescent nia toute implication dans le double meurtre.

Le policier va démonter l'alibi en se basant sur deux témoignages isolés.

  1. Son père affirma qu'il s'était absenté du domicile familial au moins un quart d'heure après leur retour à Montigny et qu'il était réapparu pour le repas du soir, avait enlevé son blouson et s'était mis à table. L'inspecteur Varlet en conclut que, malgré les autres témoignages de la famille, le suspect avait bien eu le temps de monter sur le talus, de tuer les deux garçons et de revenir chez lui.
  2. Isabelle Deschang déclara plusieurs mois après les faits qu'elle avait entendu — depuis son domicile situé à 170 m du lieu — vers 19 h 50 des cris d'enfants, supposés venir du talus. « Je pourrais dire qu’il s’agissait des cris apeurés d’un gosse qui est perdu dans le noir ». L'inspecteur Varlet en déduira que malgré les indications des légistes et des autres témoins (qui étaient passé en bas du talus après 17 h 15 sans plus entendre les enfants), les deux garçonnets étaient encore vivants après le retour de la famille Dils à Montigny.De plus, ce témoignage offre une hypothèse bienvenue aux accusateurs, leur permettant de supposer que les enfants n'étaient pas revenus chez eux à l'heure habituelle parce qu'ils s'étaient perdus.
Ce changement d'heure de la mort n'est pourtant possible que si l'on admet l'ensemble des trois postulats suivants. a) Les estimations médico-légales qui situent la mort des enfants au plus tard à 18 h 15 n'ont pas de valeur. Ce changement d'heure de la mort suppose que les membres et le torse d'un des enfants se seraient raidis en moins de deux heures. Mais l'imagination de l'inspecteur Dils comble les trous de la science. Écoutons-le. En fait, les physiologistes savent depuis des générations que la raideur après la mort survient dans un délai relativement variable selon les individus. b) Les enfants très bruyants jusque là, se seraient tus entre 17 h 30 et 18 h 50. c) Ils n'auraient pas répondu au père de l'un d'eux, qui confirme être monté sur le talus et les avoir appelés peu après 18 h 30.

L'inspecteur Varlet va de nouveau arrêter Patrick Dils et au bout de trois interrogatoires supplémentaires, il en obtiendra les aveux qu'il souhaitait.
L'inspecteur Varlet va expliquer au cours d'une interview les trois étapes qui ont mené aux aveux : 1a peur, la mise en confiance, les aveux. Écoutons-le.
Voici un récit des circonstances de cette confession, tirés de l'ouvrage d'Emmanuel Charlot, livre très lisible et très utile, surtout pour qui s'intéresse aux côtés psychologiques de cette saga judiciaire, "Affaire Dils-Heaulme la contre-enquête".
Le policier fera réitérer les aveux au suspect devant un de ses collègues et puis devant le juge d'instruction, Mireille-Agnès Maubert.
Celle-ci procédera à deux vérifications pour corroborer les aveux de Patrick Dils.
  1. Une présentation de quatre pierres tachées de sang en lui demandant de spécifier avec lesquelles il a frappé les enfants.
  2. Une reconstitution, qui se fera inhabituellement rapidement après les aveux.

Le juge d'instruction inculpera Patrick Dils, 16 ans à l'époque des faits, sur les bases que nous avons résumé ci-dessus. Les aveux sont la pièce principale de l'accusation, qui ne dispose d'aucune preuve matérielle. Par ailleurs, aucun témoin n'a vu l'accusé se rendre sur les lieux du crime, aucun témoin ne l'a vu sur le talus et encore moins accomplir les meurtres. Personne ne l'a vu revenir du talus de chemin de fer, personne ne l'a vu portant (sur lui-même ou sur ses vêtements) les inévitables taches de sang provoquées par le mode opératoire de ce double meurtre.

Un petit tableau pour montrer la situation de ces aveux, au milieu des autres parties de la construction de l'accusation :

Témoignage du père de l'accusé, contraire à celui des autres membres de la famille, affirmant qu'il s'est absenté au moins quinze minutes, ayant dès lors le temps d'accomplir les deux meurtres.
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Deux témoignages sans lesquels la culpabilité de Patrick Dils est impossible
Témoignages d'Isabelle Deschang, laissant croire que les enfants étaient encore vivants à l'heure où P. Dils est accusé de les avoir tués, malgré les témoignages contraire et les estimations médicales.

Les aveux de Patrick Dils, pièce principale du dossier.

La présentation des pierres à l'accusé, censé désigner celles qui ont servi aux meurtres.
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Deux éléments censés confirmer les aveux de Patrick Dils
La reconstitution des meurtres.


Les aveux ne sont crédibles que si et seulement si les conditions suivantes sont réunies :

  1. Le témoignage du père de l'accusé (qui lui laisse le temps nécessaire aux meurtres) et celui d'Isabelle Deschang (qui laisse croire que les enfants étaient encore vivants au moment où l'accusé les aurait rejoints sur le talus du chemins de fer) sont tous les deux inattaquables et cohérents avec les aveux. 
  2. Les aveux sont crédibles et cohérents.
  3. La présentation des pierres et la reconstitution des meurtres sont crédibles et cohérentes avec les aveux.


C'est évidemment ce que les magistrats auraient dû vérifier avant de déférer l'adolescent devant les assises. Procédons nous-même à ces vérifications. Pour passer cette démonstration détaillée et aller directement à la synthèse et au conséquences, cliquez ici.

Le déroulement des meurtres, tels que le raconta Patrick Dils, et les quelques détails qui convainquirent certains de sa culpabilité. La numérotation est ajoutée par l'auteur de ces lignes, pour faciliter l'analyse. Les remarques sont de l'auteur de ces lignes.

  1. Pour une raison qu'il dit ne pouvoir s'expliquer, P. Dils est monté sur le talus, où il a vu les deux enfants.
  2. Il s'est adressé au jeune Alexandre Bekrich, qu'il connaissait. Remarque A : l'enfant ne lui demande pas comment retrouver son chemin, ce qui infirme la thèse issue du témoignage d'Isabelle Deschang selon laquelle les victimes se seraient perdues (ce qui expliquerait qu'ils ne soient pas rentrés chez eux à l'heure habituelle).
  3. Pour une raison qu'il dit ne pas s'expliquer, Patrick Dils a suivi les enfants puis a pris une pierre avec laquelle il a frappé à la tête le petit Cyril, qui est tombé sans crier.
  4. Alexandre Bekrich s'est alors mis à crier, immobile Remarque B : la paralysie face au danger se produit parfois mais s'accompagne d'aphonie, comme on peut l'apprendre ici. Cette explication de Patrick Dils est donc hautement invraisemblable. Patrick Dils dit avoir été effrayé par ces cris et avoir pris une autre pierre, de même grosseur, pour le frapper à la tête afin de le faire taire. Remarque C : la première victime l'aurait vu prendre une pierre et s'approcher de lui mais n'aurait pas tenté de fuir ni de se protéger. La deuxième victime n'a ni tenté de fuir ni tenté de se protéger malgré la vision de l'agression de son camarade. Qu'aucun des deux enfants n'ait tenté de fuir ou de se protéger est très peu vraisemblable. Remarque D : le seul motif crédible que donne l'accusé de ses actes dans son récit est la volonté de faire taire Alexandre au moment où il le frappe la première fois.
  5. Patrick Dils raconte ensuite comment il a écrasé la tête des victimes, déjà assommées, avec une très grosse pierre.
  6. Il précise que cela faisait "le bruit de melons que l'on écrase". Remarque E : cette précision sera considérée comme "une chose que l'on invente pas" et donc comme "un détail que seul l'assassin pouvait connaître". À moins de considérer que les enfants eussent un crâne dépourvu d'os, cette précision du récit montre que l'accusait délirait ou bien souffrait d'un problème auditif l'empêchant d'entendre les os craquer...
  7. Il précise que la tête d'Alexandre s'est enfoncée dans le sol sous ses coups. Remarque F : cette précision sera également considérée comme "une chose que l'on invente pas" et donc comme "un détail que seul l'assassin pouvait connaître". Or il est évidemment impossible d'enfoncer ainsi du ballast de chemin de fer, qui supporte des voies où passent des locomotives de plusieurs dizaines de tonnes. Un preuve de plus que Patrick Dils a déliré lors de ces "aveux".
  8. Patrick Dils raconte ensuite qu'il est rentré chez lui au plus vite et a monté les escaliers quatre à quatre.
  9. Il termine sont récit en racontant qu'il s'est changé et a enfilé son pyjama avant de se laver les mains. Il précise que le sang a fait prendre à l'eau une teinte rose. Remarque G : l'accusé soutient avoir enfilé son pyjama avant de rejoindre ses proches, alors que son père soutient l'avoir revu en blouson. Ou bien le fils racontait n'importe quoi au moment de ses aveux, ou bien le père a des troubles de mémoire, mais alors on ne peut plus se fier à son témoignage, le seul qui laisse le temps à son fils de commettre les crimes. Remarque H : comment l'accusé aurait-il pu enfiler son pyjama sans y faire plusieurs taches de sang alors que ses mains en étaient pleines? Ses proches auraient évidemment dû les apercevoir lorsqu'il est redescendu à la salle à manger. La famille aurait-elle compris le soir même que Patrick avait tué et aurait-elle dissimulé sa culpabilité aux policiers? Mais alors comment expliquer que les parents ne se soient pas entendus pour témoigner à la police que l'accusé n'était sorti que moins de cinq minutes, ce qui l'aurait innocenté?

Remarques supplémentaires quant à ces aveux :

  1. L'avocat général du troisième procès d'assises de l'accusé souligne ceci : les aveux comportent 11mentions de mètres ou de centimètres. Comment l'accusé aurait-il pu mémoriser autant de précisions géométriques au cours de ces crimes qu'il est censé avoir accompli dans la précipitation en moins de neuf minutes ? Mais il est mentionné dans le P.-V. des aveux, les mots suivants de Patrick Dils «sur le plan que vous me présentez, établi par l'inspecteur...», ce qui explique comment il a pu donner toutes ces précisions: elles se trouvaient sous ses yeux.
  2. Lors des réitérations de ses aveux, l'accusé affirmera encore et toujours avoir accompli les meurtres pour une raison qu'il ne s'explique pas, ou bien les avoir terminés avec l'impression d'avoir accompli une mission. Bref, rien qui ressemble à un vrai mobile.
  3. Malgré quelques tentatives, les enquêteurs n'ont pu obtenir aucune explication de l'accusé par rapports aux constats suivants, faits sur le lieu du crime :

L'identification des pierres du crime

Le juge présenta au suspect P. Dils quatre pierres tachées de sang en lui demandant de désigner celles qui lui auraient servi pour tuer les deux enfants. Les pierres furent ensuite envoyées pour expertise au professeur Lugnier.  (Pour cette partie, nous nous référons à l'ouvrage susmentionné de Me Dominique Inchauspé, source bien plus sûre que les articles de la presse.) Cette vérification ne peut-être concluante que si et seulement si les deux conditions suivantes sont réunies:
1° Les résultats de l'expertise confirment la désignation des pierres meurtrières par l'accusé.
2° Les détails donnés par Patrick Dils dans ses aveux au sujet du mode d'emploi des pierres pour assommer les victimes puis les tuer sont confirmés par l'expertise.

Pour le point 1°, un calcul simple montre qu'il y a quatre possibilités pour chaque pierre : pas frappé, frappé Alexandre, frappé Cyril, frappé les deux enfants. Nous avons donc au total 4 X 4 X 4 X 4 = 256 (et non pas mille comme beaucoup l'ont affirmé) possibilités, ce qui paraît très élevé. Mais ! Une seule des pierres présentées est assez grosse pour avoir pu fracasser les crânes. Une autre n'est qu'un galet couvert de quelques éclaboussures de sang, mais pas de cheveux. L'expert et l'accusé déduiront tous les deux que ce galet n'a pas servi. Il reste donc la pierre numérotée "5" et la pierre numérotée "7" comme test vraiment significatif. Pour la pierre "5", l'inculpé indique l'avoir utilisée pour frapper le seul Cyril, pour la pierre "7", il indique ne l'avoir utilisé que pour frapper le seul Alexandre.
L'expertise confirmera quelques semaines plus tard les désignations de Patrick Dils pour la pierre "7", qui a frappé le seul Alexandre. Mais le rapport spécifiera que la pierre "5" a été utilisée pour les deux enfants à plusieurs reprises.
Notre condition 1° n'est donc pas remplie puisque Patrick Dils affirmait n'avoir utilisé cette pierre "5" que contre un seul des enfants. Notre condition 2° n'est donc pas remplie non plus puisque le petit Alexandre a été frappé par les pierre "5" et "7" alors qu'au cours de ses aveux Patrick Dils affirmait n'avoir frappé chacun des enfants qu'à une seule reprise, avec des pierres différentes, avant d'utiliser la grosse pierre pour les deux.
Bref, le juge d'instruction aurait dû conclure que l'expertise contredisait les déclarations de l'accusé au sujet de l'utilisation des diverses pierres, tant lors de ses aveux que lors de la présentation des pierres. Un simple confusion entre deux pierres semblables n'eût pas été significative puisque l'accusé ne les avaient vues que quelques instants,  dans la pénombre de la nuit naissante et dans la précipitation. En revanche, son erreur sur le mode opératoire (puisque on a bien frappé à plusieurs reprises les deux enfants avec une des petites pierres) doit faire admettre que l'expertise contredit fortement les aveux.

La reconstitution du crime 

Dans la logique de ses aveux, l'accusé n'aurait dû avoir aucun mal à situer l'endroit où les enfants ont été assassinés, puisqu'il avait donné pas moins de 11 précisions chiffrées de distance. Or, (toujours dans le même ouvrage susmentionné de Me Dominique Inchauspé), nous lisons quelques remarques notées par le juge d'instruction lors de cette reconstitution.

Le témoignage du policier chargé d'organiser la garde du périmètre lors de la reconstitution en dit long sur le "sérieux" de cette organisation et de l'enquête en général.
Cliquez sur l'image pour entendre le témoignage du commandant de police.



Synthèse du dossier d'accusation, commentaires et suites

Ces aveux ont été rétractés par Patrick Dils dès sa première rencontre avec son avocat. Quelques jour plus tard, il lui écrivit une lettre pour réitérer cette rétractation.


Des points de vue contradictoires sur la fiabilité des aveux

C'est là le sujet qui nous intéresse au premier chef ! Peut-on honnêtement soutenir que les méthodes policières utilisées n'ont pas abouti à faire dire n'importe quoi à l'accusé? Celui-ci a expliqué les méthodes utilisées pour l'amener à la confession souhaitée par les enquêteurs, qui s'étaient relayés et avaient varié le ton de leurs interrogatoires ("le méchant flic et le bon flic", ce n'est pas que dans les mauvaises séries policières).

Des avis différents sur la validité des aveux en fonction de facteurs psychologiques





 

 

   Cliquez sur l'image pour entendre deux avis opposés sur la valeur de ces aveux








On pourrait soutenir, dans la même logique que celle de Me Rondu lors de son intervention dans cette vidéo soutenir qu'il s'acharne à démontrer la validité des aveux de Patrick Dils parce qu'il veut cacher son propre rôle. Ce jour-là, il aurait été surpris par les deux enfants au moment où il écrasait des restes de melons pour les faire disparaître dans le ballast du chemin de fer, parce que ceux-ci lui avaient servi pour faire tomber une nonagénaire, mauvaise farce qui avait entraîné la mort de vielle femme. Il lui restait à tuer les deux témoins malencontreux pour éliminer tout risque d'être inculpé de la mort de la nonagénaire. Ce récit est de ceux dont Me Rondu dira qu'on ne peut pas imaginer qu'il aient été inventés. Donc, sauf à reconnaître qu'il est lui-même l'assassin Me Rondu devrait renoncer à clamer qu'on ne peut pas imaginer certains récits et à soutenir que ceux-ci sont donc nécessairement vrais.

  Cliquez sur l'image pour découvrir ce qui disent les psys de P. Dils et de sa façon de raconter les meurtres.

Deux dispositions de la procédure ont été violées lors de l'obtention de ces aveux et leur réitération devant le juge d'instruction :

  1. Ils ont été recueillis, au moins partiellement, en dehors des auditions formelles.
  2. L'accusé étant mineur, il aurait dû être assisté d'un avocat dès sa première comparution devant le juge d'instruction.


Deux jurys d'assises ont pourtant, à 14 ans d'intervalle, déclaré Patrick Dils coupable sur la foi de ces aveux !

Après une premier condamnation à perpétuité, Patrick Dils a été rejugé suite à l’anéantissement de ce jugement par la Cour de Cassation.
Rejugé à Reims en 2001, il a encore été condamné, à 25 ans de prison. L'avocat général, Jean-Dominique Sarcellet, avait pourtant demandé son acquittement, estimant en fonction des différents témoignages que la chronologie supposée des actes de l'accusé était invraisemblable.
Il fit appel et le troisième procès bénéficia d'un sérieux travail d'enquête de la gendarmerie de Metz. Celle-ci recoupa les témoignages et les compila dans un logiciel d'analyse criminelle ("anacrim"), qui permit de projeter à l'audience un plan du quartier avec la figuration des personnes (accusé, témoins, victimes), minute par minute, au long de l'après-midi funeste. Il en résulta que scénario supposé du crime de l'accusé se heurtait à des obstacles logiques. Ce troisième procès se termina par sa libération en 2002, après quinze ans d'incarcération. La justice octroya ensuite un million d'euros de dédommagement à Patrick et sa famille. Mais comment l'argent pourrait-il compenser les 15 années de prison de l'innocent condamné et les conséquences pour ses proches de cet opprobre?

La soumission comme preuve de culpabilité !

C'est en fin de compte la soumission de l'accusé Patrick Dils qui l'a fait condamné. Il s'était soumis à la volonté des autorités qui insistaient pour qu'il avoue, puis qu'il mime les gestes meurtriers lors de la reconstitution et enfin qu'il détermine l'usage de chaque pierre lors du double meurtre. Un caractère rebelle n'aurait jamais accepté tout cela. L'aboutissement de cette conception de la culpabilité basée sur les aveux est qu'il vaut mieux être rétif qu'obéissant lorsque on est accusé d'un crime. Autrement dit, la justice condamnera bien plus facilement un citoyen soumis qu'un citoyen rebelle.

Une nouvelle piste pour cette affaire, qui montre les autres conséquences de cette foi dans les "aveux circonstanciés"

Le jugement de la Cour de Cassation, qui permit à P. Dils d'être rejugé, puis acquitté faisait suite à la découverte de la présence d'un tueur récidiviste sur les lieux du crime. Ce criminel, Francis Heaulme, avait d'ailleurs fait un séjour en hôpital psychiatrique peu après les meurtres et l'on doit s'étonner qu'il ait échappé aux investigations faites dans ce milieu par des enquêteurs à l'époque. Il a été condamné (dans une série de procès entre 1994 et 2004) pour huit meurtres commis après ceux de Montigny (et un auparavant). S'il avait été arrêté à cette époque au lieu de Patrick Dils, ces malheureux seraient encore en vie. Deux enfants, Joris Viville (9 ans) et Laurence Guillaume (14 ans) figurent dans cette triste liste. Contrairement aux deux victimes de Montigny, qui ont été manifestement assommées par surprise avant d'être achevées, Joris et Laurence ont bien eu de le temps de comprendre le sort qui les attendait.
Il y a par ailleurs une contradiction à considérer que la présence de Francis Heaulme sur les lieux du crime était un élément nouveau susceptible de remettre en cause la culpabilité de Patrick Dils. Les éléments sur base desquels il avait été condamné n'étaient en rien modifiés par le fait de cette présence. En revanche, le témoignage de Francis Heaulme qui disait avoir vu les enfants morts (et donnait un détail qui n'avait jamais été divulgué) pouvait sans doute s'ajouter aux divers éléments qui montraient que les enfants étaient morts avant le retour de la famille Dils. Mais n'a-t-on pas tout simplement admis indirectement, par cette décision, que Patrick Dils avait été condamné parce qu'il était à ce moment le seul coupable potentiel disponible?

Les familles des deux victimes de Montigny ont donc dû admettre que la justice leur présentait un nouveau suspect en même temps qu'elle acquittait celui qui leur avait été désigné comme le coupable.
Mais voilà, la justice de Metz était peu disposée à monter un quatrième procès d'assises dans cette affaire et Francis Heaulme bénéficia d'un non-lieu.


Quand l'amour d'une mère vient à bout de tous les obstacles.

Chantal Beining, la mère du petit Cyril, a été la personne la plus touchée  parmi les familles des victimes. Son ménage a été brisée et sa petite pension de retraite a été consacrée en partie à payer les frais de justice. Elle a pourtant tenu à faire appel de ce non-lieu et obtenu que Francis Heaulme comparaisse aux assises pour ce double meurtre. Malade, abandonnée ( voire vilipendée) par les autres parties civiles, seule face à l'inertie de la magistrature de Metz (qui semblait s'intéresser plus à Patrick Dils malgré son acquittement qu'à Francis Heaulme), elle est parvenue à faire comparaitre le tueur et à lui faire face lors du quatrième procès d'assise de cette affaire. Elle a ainsi tenu sa promesse à son fils, celle de faire établir l'identité de son meurtrier. Francis Heaulme a été condamné le 17 mai 2017 à la prison à vie pour ce double meurtre, plus de trente ans après les faits. Son procès s'est étendu sur trois semaines et ses avocats ont eu pour principal moyen de défense... les aveux de Patrick Dils. Mais les jurés ne sont plus tombés dans le piège de cette preuve en carton et ont rédigé des motivations de leur jugement que l'on peut lire ici.

Les avocats de Francis Heaulme ayant interjeté appel, il y aura un cinquième procès d'assise, nouvelle épreuve pour l'émouvante madame Beining et nouvelle occasion, à n'en pas douter, pour les inconditionnels des aveux, de brandir ceux de Patrick Dils.

Les erreurs de raisonnement commises dans cette tragique affaire

La plus grosse est évidemment de se fier à des aveux, surtout dans de telles conditions. Trois personnes ont avoué un crime dont une quatrième était coupable. Comment a-t-on pu valider les aveux du troisième, après avoir dû reconnaitre l'innocence des deux premiers à avoir avoué? Si un témoin désignait une personne comme l'auteur d'un délit, puis une deuxième et enfin une troisième, plus personne ne lui accorderait la moindre confiance. Pourtant, la religion des aveux permet de considérer comme valides ceux obtenus auprès d'une personne, qui avoua après que deux autres l'eurent fait, auprès de la même équipe policière, pour une même affaire.

La deuxième est de considérer que Dils était coupable "parce que ça ne pouvait être que lui" après la mise hors cause des deux personnes qui avaient avoué avant lui. C'est bien ce que répliqua la juge d'instruction à Patrick Dils lorsqu'il rétracta ses aveux face à elle. Elle semblait considérer que le coupable faisait nécessairement partie des personnes interpellées par la police dans le cadre des affaires et que Dils étant le seul de cet ensemble à n'avoir pas été disculpé, il était forcément le seul coupable. C'était négliger le fait que les lieux étaient accessibles à n'importe qui. Il y a donc bel et bien des millions de coupables potentiels. Donner a priori à choisir entre la culpabilité de Heaulme et celle de Dils est donc illogique. On ne peut absolument pas soutenir que l'un d'eux est coupable simplement parce que l'on tient pour certain que l'autre ne l'est pas.

Le témoignage de Mlle Deschang comporte un biais cognitif évident, or l'accusation l'a considéré comme "irréfutable" Cette personne dit avoir entendu des cris, comme ceux d'enfants perdus dans le noir, en provenance du talus, zone déjà plongée dans les ténèbres à ce moment. Quel parent n'a-t-il pas eu un jour des difficultés à interpréter les cris de son propre enfant, surtout lorsqu'il était caché à sa vue? Excitation du jeu? douleur? peur? colère? Pourtant cette personne pense à la peur du noir comme cause de cris d'enfants qu'elle ne connaît pas et qu'elle ne voit pas. Le biais est évident: comme elle voit une zone sombre, le talus, en entendant les cris, elle construit instinctivement une réalité cohérente à partir des données de ses divers sens: l'obscurité peut expliquer les cris d'enfants qui se trouveraient dans cette zone. Donc, ils proviennent du talus et sont des cris de peur. Ce genre de travail inconscient de construction d'une réalité cohérente à partir de nos sens est bien connu et explique des phénomènes comme les illusions d'optique. Voir à ce sujet l'ouvrage de Daniel Dennett "La Conscience expliquée", chez Odile Jacob.
Notons aussi que d'autres enfants ont pu crier dans les environs et que postuler que les enfants entendus par cette personne étaient les deux victimes est arbitraire.

Ces erreurs en ont entraîné d'autres ! On a pu voir au long de mes explications combien nombreuses étaient les incohérences dans la thèse de l'accusation. Une telle suite d'absurdités est évidemment due au "biais de confirmation", bien connu des psychologues spécialistes de la cognition, qui fait que l'on ne prend en compte que les éléments qui appuient la thèse auquel on a déjà adhéré et non pas ceux qui peuvent l'invalider.


Voir ici les questions subsistant dans les épisodes de cette saga judiciaire

Pour en savoir plus :

Liens vidéos :

Le long combat de Patrick Dils face à la justice
Reportage sur l'ensemble de l'affaire
Les réflexions de François-Louis Coste, avocat général lors du dernier procès de Patrick Dils
Réflexions de quelques protagonistes sur ce fiasco judiciaire  Le deuxième intervenant, l'avocat Thomas Hellenbrand, explique comment la recherche systématique d'aveux a entravé la découverte de la vérité.
Longue interview de P. Dils, les interrogatoires, les aveux, la détention, la réintégration

Ecrits

Beaucoup de points soulevés avant le deuxième procès aux assises      article en ligne, dans lequel (entre autres) un ex-avocat d'une partie civile met sérieusement en cause le déroulement de la reconstitution
Article scientifique sur la fabrication des souvenirs et des aveux          L'accès à l'entièreté de l'article n'est pas libre. L'achat de ce numéro du magazine scientifique vaut la dépense pour qui veut comprendre comment tant de contre-vérités sortent des interrogatoires policiers mais aussi d'autres situations, en particuliers certaines psychothérapies.
"Je voulais juste rentrer chez moi" Le récit (aux Editions Michel Lafon) de Patrick Dils
"Prisonnier de Mao" Le récit publié par Jean Pasqualini de son arrestation en Chine, de ses interrogatoires et de son internement. On verra à quel point le "lavage de cerveau", non-violent, peut faire intégrer au prisonnier n'importe quelle contre-vérité. On y lira aussi cette considération d'un interrogateur chinois qui explique que les suspects de type "robinet" débitent leurs aveux d'un seul tenant à un certain moment, après avoir auparavant tout nier, comme le décrit l'inspecteur Varlet à propos de Patrick Dils.

"Affaire Dils-Heaulme la contre-enquête" ouvrage assez complet d'Emmanuel Charlot, qui se lit agréablement.
"L'erreur judiciaire" de Dominique Inchauspé, ouvrage sérieux, et même aride, qui consacre 44 pages à cette affaire de Montigy-lès-Metz.

Texte de Tiesse Di Hoye pour le site "Les preuves en carton"

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